Bashô, seigneur errant


Si je devais retenir une lecture pour 2014, je choisirais sans hésiter L'intégrale des haïkus de Bashô tant ce livre vibre en moi d'une résonance unique.


Comme tout le monde, je connaissais quelques haïkus de Bashô et j'en appréciais la beauté fluide. La lecture de son oeuvre intégrale ouvre des dimensions insoupçonnées qui donnent à ses simples vers des perspectives plus profondes et tourmentées.

D'abord, j'ai été frappé par son humour. Pas une seule seconde je n’avais imaginé rire aux éclats sur certains haïkus, pourtant, Basho use d’un humour foudroyant, un trait d'une intelligence implacable enveloppé dans la forme elliptique de l'écriture.

En pénétrant davantage dans le livre, l'errance de Bachô se fait jour. Jamais le poète ne se pose, d'ailleurs il n'a pas d'habitation fixe, comme s'il fuyait l'intimité permanente pour une intimité renouvelée. Il visite sa famille, part chez un ami, traverse une ville, se promène au bord d'un ruisseau, parcourt une région, puis il repart s'isoler dans un temple, retourne chez un autre ami, gravit une montagne... Bashô est un homme libre qui s'offre la diversité du monde, des lieux et des hommes. Cette immense liberté lui confère un regard toujours frais sur les êtres et les choses et lui permet de décrire en peu de mots l'essence même d'une situation ou d'un état. Bashô ne possède rien et n'a aucune dépendance aux objets. A peine transporte-t-il quelques vêtements et un nécessaire d'écriture dans un balluchon usé. Il possède en revanche toute sa conscience et sa liberté de pensée.

L'indépendance de Bashô fonde une poésie très concrète que je n'imaginais pas. Le chien pisse partout, cette femme ivre est vulgaire, ce marchand pète comme un boeuf, la pluie glace jusqu'aux os, le narcisse est ravissant, le cerisier perd ses fleurs. L'état déplaisant conserve la même valeur que l'état plaisant. Ils participent tous deux à la même et unique vie. L'idée du dépérissement est permanente. Ce concept, très étranger à la pensée occidentale et souvent associé à une valeur pessimiste, est ici une continuité logique qui participe pleinement à l'existence. Une fleur éclot, décline puis fane. L'éternité n'existe pas. Tout se réinvente en permanence.

Bashô est un homme généreux. Il offre ses poèmes à des amis comme à des inconnus pour marquer un instant chaleureux ou réconforter après une épreuve. Pourtant il montre souvent la vacuité du monde et un accablement face à la médiocrité de ses contemporains. Il est sans cesse partagé entre la nécessité de vivre avec ses semblables et la fuite de la vie sociale. La nature et la solitude sont alors des refuges apaisants. Chez Bashô, la nature est divine au propre comme au figuré. Elle possède une grâce dans tous ses états qui le bouleverse et participe d'une ou plusieurs entités extranaturelles qu'il pose en valeur absolue et vénère.

Du concret à la spiritualité, Bashô invente une poésie humble, légère et détachée qui illumine la pureté et le vide.

L'intégrale des Haïkus de Bashô, édition bilingue établie par Makoto Kemmoku et Dominique Chipot, éditions Points

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